Il y a déjà abondance de littérature sur ce sujet (abondance que j'ai
personnellement aggravée). Je m'en tiens donc ici à une simple
tentative
de définition critique du périmètre de ce domaine un peu incertain mais
dont le succès ne se dément pas depuis une bonne quinzaine d'années.
La business intelligence
(ou
pour les
habitués la BI)
est devenue,
dans les milieux qui gravitent autour de l'informatique, un
quasi-synonyme de l'information
décisionnelle.
Ceci
mérite une première mise au point terminologique, car par ailleurs
business intelligence n'est pas (ou n'est plus) synonyme
d'intelligence
économique. L'intelligence économique (IE) est une notion beaucoup plus
vaste qui couvre l'ensemble des activités de collecte
d'informations sur l'environnement
économique (concurrence et marchés, technologie, politique, société,
etc). Selon une définition de l'IHEDN (Institut des
Hautes Études de
Défense Nationale), c'est "une
démarche organisée, au service
du management stratégique de l'entreprise, visant à améliorer sa
compétitivité par la collecte, le traitement d'informations et la
diffusion de connaissances utiles à la maîtrise de son environnement
[1]". En France, il
convient de marcher
sur des oeufs quand on y fait
allusion,
car d'aucuns lui trouvent un relent d'espionnage. Le mot
"intelligence", dans ce contexte, ne signifie pas comme en Français
classique "aptitude à comprendre, à établir des relations, à relier des
informations entre elles"; il évoque trop lourdement le mot
"renseignement". Or, curieusement, alors que le management est
d'habitude très friand de vocabulaire d'origine
militaire (stratégie, campagne, cible, logistique...) et que les
citations de Sun Tzu ou de Clausewitz sont toujours du meilleur effet
dans la littérature pour dirigeants, le mot "renseignement" demeure
politiquement incorrect dans le monde francophone des affaires.
"Il n'existe pas de
culture du
renseignement en France. Au mieux, il s'agit d'un mal nécessaire, au
pire, d'un amalgame barbouzard", regrettent même certains [2].
Aussi
a-t-on introduit des notions alternatives, telles que l'analyse stratégique
ou encore la
veille stratégique,
qui, en
soi,
n'apportent qu'un supplément d'imprécision, mais qui n'ont pas de
connotation sulfureuse.
L'analyse stratégique, pour ne citer qu'elle, n'exploite que des
informations
publiques (bien que souvent inconnues du grand public); on parle alors
aussi, dans ce cas, d'IE à source ouverte ou open source intelligence
(OSINT). L'IE au sens large peut, quant à elle, exploiter des
sources non publiques, sans pour autant avoir recours à des
procédés illicites.
Quoi qu'il en soit, nous sommes en présence
d'une activité
d'ingénierie de l'information s'exerçant dans un contexte
concurrentiel, avec une vocation
offensive ou
défensive. Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande
l'excellente synthèse du CIGREF
[3].
Il
faut par ailleurs reconnaître que, depuis peu, les milieux
politiques semblent prendre conscience de l'importance et de la
légitimité d'une activité d'intelligence
économique organisée, ne serait-ce que pour la sauvegarde
des intérêts nationaux et européens dans le
contexte de mondialisation que nous connaissons. La publication du
rapport Carayon [4] témoigne
de cette évolution.
Quels
que soient l'emballage verbal et le contexte d'utilisation, il n'en
reste pas moins vrai que le contenu de l'IE, tout comme celui de la BI,
se définit très bien par ce que l'École de Guerre Économique
appelle
le "cycle du renseignement" et que résume le schéma ci-contre (cité
dans le rapport du CIGREF). Nous sommes toujours dans une démarche
itérative en quatre étapes : expression de besoins informationnels,
collecte des données, traitement de ces données en vue de les
transformer en informations pertinentes et exploitables, puis diffusion
aux destinataires selon le contexte et les contraintes d'utilisation de
chacun.
La business intelligence (au
sens restreint qui est le nôtre), est beaucoup plus proche des
opérations
même si elle se veut elle aussi "stratégique". Elle traite des flux
d'information provenant essentiellement de quatre sources
:
Les
pratiquants les plus nombreux de la BI sont sans aucun doute des gens
qui n'en ont jamais entendu parler. De même que nos commerçants de
quartier qui prennent soin de leur clientèle ne savent pas qu'ils font
du CRM (Customer
Relationship
Management), ils font aussi de la business intelligence
comme
Monsieur Jourdain faisait de la prose. Croyez moi, ils ne s'en portent
pas plus mal. Mais dans le monde des entreprises grandes ou petites
dont l'infrastructure repose en grande partie sur des moyens
informatiques, la mise en oeuvre de la BI est explicite et passe de
plus en plus par un système
d'information décisionnel (SID).
Un SID, bien
entendu, n'est pas un système qui prend les décisions. En Anglais, on
dit Decision Support
System
(DSS), ce qui en éclaire plus précisément le sens : il s'agit d'un
système de "soutien" à la décision. La décision elle-même est humaine ;
la vocation du SID n'est pas d'automatiser la décision, elle est
d'automatiser (autant que faire se peut) la recherche et la mise en
forme des données nécessaires à la prise de décision. La décision
elle-même est un processus socio-technique, dans lequel les acteurs
humains sont en inter-action de plus en plus étroite avec des automates.
La notion de
SID s'est développée dans la dernière décennie du 20ème siècle, alors
que celle de SI (système d'information tout court) existait déjà. Il
est parfaitement légitime de se demander pourquoi, ayant déjà "inventé"
le système d'information, il nous a fallu en inventer un autre,
qualifié de décisionnel. Car enfin, quoi demander de plus que des
"informations" pour pouvoir décider ? La réponse est à la fois simple
et embarrassante : le système d'information "classique" est un
système... qui n'informe pas.
Quand le
concept de système d'information s'est imposé, et a valu à la plupart
des ci-devant "directeurs informatiques" (DI) d'être requalifiés de
"directeurs des systèmes d'information" (DSI)... ou mis au placard, il
y avait sans doute deux objectifs théoriques à la clé : d'abord
remettre la technique à sa place au service du contenu informationnel,
ensuite promouvoir une vision systémique cohérente de l'ensemble des
applications informatiques, qu'on ne voulait plus voir comme une
collection d'automates isolés. Ce volontarisme, de toute évidence, n'a
pas suffi, car aujourd'hui encore, dans les DSI, s'il est vrai qu'on
s'occupe de plus en plus du système d'information, on est bien obligé
de faire surtout de l'informatique. Et on reste au service de maîtrises
d'ouvrage (MOA) qui sont elles-mêmes cloisonnées par métiers et sont
rarement disposées à penser leur entreprise comme un "système". Certes,
depuis
une
petite douzaine d'années, on a vu passer le business process reengineering
(BPR) et ses divers avatars, avec quelques petits succès (et parfois
aussi de gros dégâts). Ce courant réformateur tend à réorganiser
l'entreprise par processus, donc à diluer les cloisonnements organiques
traditionnels et à imposer une meilleure intégration du système
d'information. Mais les idées sont plus faciles à remuer que les
groupes humains. Le système d'information est encore, dans une large
mesure, une vision d'état-major. Dans une grande organisation, les
applications sont aujourd'hui largement
interconnectées, voire techniquement intégrées dans les cas favorables,
mais elles ne forment pas un ensemble informationnel homogène. Si elles
constituaient un tout sémantiquement cohérent, les problématiques
de gouvernance et d'urbanisme des systèmes d'information, si en vogue
de nos jours, n'auraient pas de raison d'être.
Ce que nous appelons aujourd'hui
système d'information
est un ensemble organisé mais hétérogène de composants automatiques
et/ou semi-automatiques de traitement de données dont chacun est
prioritairement destiné à soutenir une activité opérationnelle
particulière. Incidemment, chacun de ces composants peut produire des
informations de
contrôle très détaillées sur l'activité à laquelle il est lié. Mais ces
informations restent "au ras des pâquerettes"; elles ne sont pas
directement exploitables à des fins d'analyse et de prévision. De cette
limitation congénitale est venue l'idée d'un autre système
d'information, spécialement et exclusivement conçu pour l'aide à la
décision, et découplé des opérations.
Pour
essayer de préciser le rôle du SID dans une
organisation, je préfère partir du schéma
classique issu du courant de pensée
systémique des années 1970, courant qui
a notamment créé le fondement théorique de la notion de système
d'information.
L'organisation est vue comme un système
composé de
trois sous-systèmes,
à savoir:
1) Le Système
Opérant, qui n'est
autre que
l'appareil
de production, qui importe, transporte, transforme et exporte des flux
matériels, énergétiques et financiers;
2) Le Système
d'Information, qui
constitue à la fois
le reflet et le support informationnel du Système Opérant; il capte des
données dans le Système Opérant (flèche jaune) auquel il renvoie des
commandes ;
3) Le Système
de Pilotage qui détermine le
comportement de
l'organisation en utilisant le Système d'Information comme une
interface à double sens, pour être informé sur le Système Opérant et
agir sur ce dernier.
Aucune place n'est prévue a priori pour le SID dans cet édifice. Je situe ce dernier dans la zone hachurée en vert (que vous pourrez qualifier, selon votre état d'esprit, de rustine ou de verrue), par dessus la flèche jaune des informations qui remontent vers le Système de Pilotage.
Car
le besoin est bien là. Le Système d'Information possède (du moins
l'espère-t-on) toutes les données du problème décisionnel, mais pas
sous la forme homogène, cohérente,
simplifiée qui convient. Un gros
travail de transformation et de mise à disposition est à fournir. Le
rôle du SID est d'automatiser les traitements correspondants, dans des
espaces de travail séparés du reste du SI afin d'éviter toute
perturbation mutuelle.
Le SID met en
oeuvre cinq fonctions
fondamentales [5] :
En pratique, les fonctions de collecte et d'intégration sont étroitement liées entre elles, et sont généralement associées à un composant informatique central appelé entrepôt de données (data warehouse). De même, diffusion et présentation sont des fonctions fortement "orientées sujet", tournées vers l'utilisateur et son métier, manipulant des contenus à forte valeur ajoutée informationnelle et non des données brutes; elles sont donc fortement imbriquées logiquement et techniquement. Par conséquent, la mise en oeuvre informatique d'un SID, selon la conception actuellement dominante, implique trois éléments techniques:
Le vocabulaire utilisé pour présenter cette architecture varie assez largement d'une organisation à une autre. Comme il faut bien faire des choix, j'utilise ici celui que j'ai moi-même introduit à la fin du siècle dernier et qui a été retenu par quelques grands comptes français (et parfois repris et développé par d'autres auteurs). Le schéma ci-dessus en montre une transposition en Anglais, tirée d'un support de présentation de GENICORP.
Je n'entre pas plus
avant dans les détails
du
contenu et des applications d'un système de business intelligence. On a
déjà écrit beaucoup (peut-être trop) sur ce sujet. Pour aller plus
loin, je vous recommande notamment les références [6]
et [7] ci-dessous (et [5] si mon
point de vue continue à vous intéresser).
Il me semble plus utile, dans cette introduction personnelle, de mettre le doigt sur ce qui représente pour moi les principales limites actuelles des projets de BI, qui sont autant de pistes d'évolution pour le présent et l'avenir.
La première
limite tient au caractère abstrait (bien que nécessaire) de la notion
de SID, vue de la fenêtre du décideur. Dans la vie réelle, nous ne
sommes pas tantôt dans l'opérationnel, tantôt dans le décisionnel. La
décision et l'action sont complètement imbriquées. Plus précisément, il
existe une boucle de rétroaction permanente entre opérations,
informations et décisions.
Tout
processus opérationnel produit des données. Certaines de ces données,
exploitées par des automates régulateurs sans intervention humaine,
provoquent des rétroactions non décisionnelles sur le processus.
D'autres sont converties en informations qui sortent du système
d'information "opérationnel" pour entrer dans le SID. Le SID, combiné
avec le décideur humain, constitue un dispositif qui, de manière
immédiate ou différée, est destiné à rétroagir lui aussi sur les
processus (c'est-à-dire sur le système opérant). Le cycle de
rétroaction est plus ou moins long, plus ou moins complexe et son
séquencement plus ou moins régulier, mais il existe. Plus le niveau de
décision est élevé et focalisé sur le long terme, plus la rétroaction
est médiate et complexe. C'est ce que j'essaie de montrer dans le
schéma ci-dessus, tiré du support de
présentation
précité. Or les SID conçus jusqu'à présent tiennent compte
très
imparfaitement de cette intégration cyclique entre décision et action.
Cette limitation tient en partie à des facteurs techniques: par
conception, les logiciels de BI disponibles sur le marché sont souvent
difficiles à intégrer aux systèmes d'information. Mais elle provient
aussi de facteurs sociaux et organisationnels, notamment de la très
grande difficulté qu'il y a à modéliser l'activité décisionnelle et à
la traduire en spécifications informatiques, et aussi peut-être d'une
interprétation à mauvais escient du dogme de l'autonomie du SID par
rapport aux opérations. Avec le temps, cette première carence de la BI
va peut-être se résorber, sous l'influence, entre autres, des démarches
d'urbanisation des systèmes d'information, des projets d'EAI (Enterprise Application
Integration)
et (pour l'aspect cosmétique des choses) du développement des
"portails" (qui sont eux aussi des socles techniques d'intégration).
La seconde limite vient de ce que la plupart des SID conçus jusqu'à
présent dans les grandes organisations sont essentiellement
introspectifs. En effet, même si leurs enjeux sont très souvent liés à
des impératifs commerciaux, donc focalisés sur le client et le marché,
les données qui les alimentent sont, à une majorité écrasante,
d'origine interne. La portée stratégique de tels outils reste donc très
limitée. On peut dire que les outils de BI des entreprises ou des
grandes administrations sont à l'opposé des systèmes d'information de
commandement utilisés par les militaires en opération: les
premiers permettent surtout à l'organisation de contempler sa propre
histoire et de voir le monde extérieur à travers les lunettes de son
propre système de production, tandis que les seconds s'efforcent de
présenter au décideur, à tout instant, une vision combinée en temps
réel du terrain, de ses moyens d'actions et de ceux de l'adversaire.
Notons au passage que la portée stratégique est aussi limitée dans un
cas que dans l'autre: dans le cas de la BI, la limite vient du manque
d'informations extérieures, tandis que dans le monde des systèmes de
commandement elle vient de l'absence de profondeur historique et donc
de potentiel d'analyse et de modélisation prédictive. Toutefois, pour
un système de commandement, cette limite n'en
est pas vraiment une, justement parce que les objectifs sont
opérationnels, voire tactiques, mais peu ou pas stratégiques (pour la
stratégie, qui se joue largement en-dehors du théâtre d'opérations,
voire en-dehors de tout état de guerre déclarée, la problématique de
l'information décisionnelle se rapproche de celle de l'intelligence
économique). Cette difficulté est techniquement difficile à surmonter,
non seulement parce que l'information externe sur l'environnement
économique semble plus compliquée à capter que la position d'un char ou
d'un porte-avions sur une carte, mais aussi parce que l'information
externe disponible est souvent sous une forme considérée comme
indigeste.
La troisième limite
découle d'un problème
de "format" de données. Les
informaticiens (qui, inconsciemment, restent marqués par l'époque de la
mécanographie) ont pris l'habitude de faire une distinction entre
données "structurées" et données "non structurées". Pour simplifier,
disons que des données sont considérées comme "structurées" si on peut
les représenter sous forme de fiches ou de tableaux dont la structure
est prédéfinie et régulière. Par exemple un catalogue de produits
indiquant, pour chaque article, un nom, un code, un prix, une quantité
en stock. Dans un ensemble de données "structuré", chaque donnée
élémentaire possède un "type" prédéfini, le type étant une notion
mi-technique, mi-sémantique: il peut s'agir d'une date, d'un montant,
d'un nombre entier ou d'un texte. À l'opposé, une donnée est dite "non
structurée" s'il n'est pas possible de prédéfinir sa structure et de la
ranger dans une table. Une telle donnée peut être, par exemple, un
article de presse, une animation graphique, une séquence musicale, ou
la page que vous êtes en train de lire. Ces données "non structurées"
sont parfois appelées "documents", mais en réalité un document peut
correspondre à toute espèce de structure de données. Cette distinction
"technicienne" est abusive,
car, par définition, toute donnée pouvant être traitée par une machine
numérique est nécessairement structurée [8].
En réalité, les données dites
"non structurées" sont tout simplement des données dont la structure
est plus complexe (on pourrait aussi bien les qualifier de données
"hyper-structurées"). En poussant jusqu'à l'absurde la logique qui mène
à qualifier de "non structurées" les données complexes, on pourrait
arguer de ce que les ordinateurs calculent en binaire, pour soutenir
que les nombres décimaux ne sont pas "numériques"... Les vrais
problèmes sont, d'une part, l'inaptitude des systèmes de gestion de
bases de données classiques à gérer les structures complexes et,
d'autre part, le fait que les dispositifs dédiés à la bureautique, à la
gestion documentaire et au travail collaboratif ont toujours été gérés
en marge du système d'information. Or, dans n'importe quelle
organisation fortement et anciennement informatisée, les données dites
"structurées" ne représentent qu'une petite partie du stock global de
données. Et l'évolution récente de la technologie (notamment la
généralisation du XML [9] comme
standard de
mémorisation et d'échange de
données et des fonctions documentaires dans les principaux systèmes de
gestion de bases de données du marché) est en passe de faire
disparaître les obstacles (et les excuses) techniques qui s'opposaient
à la prise en charge des données complexes par les SID. Il n'en reste
pas moins un long chemin à parcourir, compte tenu des habitudes
acquises et des difficultés de spécification d'un SID ouvert sur
l'horizon à 360 degrés.
La quatrième
et dernière limite que je citerai ici est le passéisme. Car l'une des
caractéristiques majeures des systèmes de BI est de fonctionner sur un
stock de données essentiellement historique et déphasé par rapport à
l'instant présent. Le contenu informationnel des grands SID actuels
comporte deux composantes:
Les données
dynamiques sont elles-mêmes très incomplètes, car le système
d'information capte essentiellement, voire exclusivement, des flux
comptables, et les événements non financiers lui échappent
généralement, ce qui limite d'emblée le potentiel tactique et
stratégique de l'information.
Le passéisme
n'est pas un handicap au regard des objectifs traditionnellement
assignés au SID, car il n'est pas utile de disposer de données
instantanées pour analyser et prévoir à moyen terme. En revanche, il
serait susceptible de pénaliser l'utilisateur si, comme on peut s'y
attendre, le besoin d'outils d'aide à la décision immédiate (plus
proches des systèmes de commandement auxquels j'ai fait allusion plus
haut) commence à se répandre.
En effet, la cohabitation d'un SID "historique" et d'un SID
"de l'intant présent" serait difficle à avaler. La vogue de la
réingénierie des processus opérationnels sera sans doute un
accélérateur de l'évolution dans ce domaine. Elle a déjà par exemple
suscité le concept de business
activity monitoring (BAM), une application typiquement
décisionnelle, qu'on n'aurait pas intérêt à laisser se développer
en-dehors du SID. Dans certains métiers d'ailleurs, on utilise depuis
plus d'une décennie des outils décisionnels qui combinent l'historique
avec la donnée en temps réel (c'est le cas par exemple sur les marchés
de capitaux, où les opérateurs combinent en permanence des informations
de cotation immédiate avec des séries historiques à grande profondeur).
Là aussi, la technologie est au rendez-vous, notamment grâce à l'EAI
qui, sans avoir jusqu'à présent tenu ses promesses en matière
d'unification du système d'information, a du moins apporté des
composants logiciels qui permettent ou permettront au SID de faire face
à l'événement immédiat tout en tirant parti de son fonds historique.
Le Corporate Performance Management (CPM) tend depuis peu à s'imposer dans le vocabulaire des éditeurs de logiciels et des cabinets de conseil. Le CPM se définit comme l'ensemble des méthodes et des outils destinés à contrôler les performances globales d'une organisation et à assurer l'alignement des processus opérationnels sur la stratégie. Il combine notamment l'arsenal de la business intelligence "historique" avec celui de la planification budgétaire. La boucle de rétroaction qui lie information, décision et action en est l'un des principes essentiels, ainsi que la garantie de cohérence entre les niveaux de décision stratégique, tactique et opérationnel. À condition toutefois qu'on ne réintroduise pas certains vieux cloisonnements entre information et action, par exemple au travers de la distinction entre CPM analytique et CPM opérationnel que proposent certains acteurs. Dans l'idéal, le CPM mettrait à la disposition du décideur une sorte de cockpit intégré fournissant à la fois les indicateurs pertinents en temps réel, les outils de planification et les leviers de commande. Comme à chaque fois qu'un concept nouveau est lancé sur le marché, le CPM est concurrencé par diverses expressions plus ou moins équivalentes, telles que l'Entreprise Performance Management (EPM) ou encore le Business Performance Management (BPM) [10]. mais c'est lui qui semble tenir le flambeau. S'agit-il d'une nouvelle mode verbale ou d'une nouvelle approche de l'information décisionnelle ? Les deux, sans doute. La vision est ambitieuse, mais finalement assez classique. Les mêmes idées étaient dans l'air, exprimées d'autres manières, lors du décollage de l'ERP et du data warehouse et elles se retrouvent aussi un peu dans le BAM. Mais la question de la mise en oeuvre pratique du CPM reste entière. Le CPM est présenté par ses promoteurs comme "non intrusif", c'est-à-dire capable d'utiliser les systèmes d'information existants sans les bouleverser. Cependant il ne peut tenir ses promesses que si le "cockpit" reçoit des données homogènes, fiables et synchrones. S'il ne fait que s'installer sur un archipel d'applications informatiques cloisonnées, le CPM se développera dans les mêmes limites et produira les mêmes résultats que les systèmes décisionnels "classiques". Ou bien il restera cantonné dans des périmètres "départementaux" (et ne méritera donc pas le qualificatif "corporate"), ou bien il représentera le volet décisionnel de changements beaucoup plus importants, affectant l'organisation autant que l'informatique. Le CPM n'est donc pas dissociable d'une réingénierie des systèmes d'information et des processus opérationnels... ce qui fait de lui un projet nécessairement "intrusif".
On peut enfin citer une dernière contrainte, d'ordre technique mais dont l'impact stratégique n'est pas négligeable: l'effort de modélisation logique et physique préalable des données qu'imposent généralement les requêtes décisionnelles complexes. Cet effort pèse sur les équipes informatiques non seulement dans les phases de déploiement initial, mais surtout de manière récurrente pendant toute la durée d'utilisation du SID, compromet sa flexibilité et joue négativement sur son bilan économique à moyen terme. Toutefois, de nouvelles technologies tendent depuis peu à éviter cet écueil: il s'agit des systèmes de gestion de bases de données orientés contenu.
En bref, la business intelligence, malgré ses quelques années d'existence, n'est pas au bout de son évolution. On peut même dire qu'elle est encore loin de la maturité.
[1] F.
Bournois, P-J. Romani, L'intelligence
économique et stratégique
dans les entreprises françaises, IHEDN, Economica, 2000.
Une autre
définition a été proposée par Alain Juillet, responsable de
l'intelligence économique auprès du Premier Ministre : "l'intelligence
économique est la maîtrise et la protection de l'information
stratégique qui donne la possibilité au chef d'entreprise d'optimiser
sa décision" (voir entretien
accordé à 01
Informatique en juin 2004).
Je la trouve un peu trop centralisatrice et défensive.
[2]
"L'intelligence
économique en France : les
incertitudes du marché", Archimag, 2004
[3] "Intelligence économique et stratégique, les systèmes d'information au coeur de la démarche", CIGREF, 2003
[4] "Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale", Rapport au Premier Ministre de Bernard Carayon, député du Tarn, 2003
[5] J-M. Gouarné, "Le projet décisionnel: enjeux, modèles et architectures du data warehouse", Eyrolles, 1998 (également disponible en ligne).
[6] J-M.
Franco, S. de Lignerolles, "Piloter l'entreprise grâce au
data
Warehouse", Eyrolles, 2000
[7] P.
Muckenhirn, "Le système
d'information
décisionnel,
construction et exploitation", Lavoisier, 2003
[8]
À la limite, je doute même que la notion de
donnée non structurée
ait un sens.
Pour moi, le "non structuré" relève plutôt de l'univers des idées non
formulées, des perceptions et des sentiments. Et encore, je ne suis pas
sûr que les psychologues et les cogniticiens seraient unanimes sur ce
point.
[9] eXtensible Markup Language. Plutôt que d'un langage, il s'agit d'une grammaire évolutive permettant de décrire toute espèce d'information, notamment les informations dont la structure n'est pas figée et connue à l'avance. Il est intéressant de constater qu'une unité cohérente d'information représentée en XML est toujours appelée un document, quelle que soit sa structure.
[10]
A ne pas confondre avec les autres "BPM" que
sont le Business
Process Management
ou le Business Process
Modeling.